Réserve héréditaire et l'ordre public international
Dérogeant au principe de l'extension à l'ordre international des critères de compétence internes, la succession internationale est régie par deux
conventions de la Haye, mais la France n'a ratifié aucune de ces conventions. Si l'immeuble est situé en France et le défunt avait son dernier domicile en France, c'est le tribunal du lieu de
dernier domicile qui est compétent. En revanche, si l'immeuble se trouve à l'étranger, les tribunaux français ne sont pas compétents, même si le dernier domicile du défunt était en France.
En l'espèce, un français a constitué avec son épouse "family trust" selon le droit californien auquel ont été transférés tous les biens de Monsieur.
Puis, ils ont créé une SCI à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris. Monsieur décède en Californie laissant son épouse et deux enfants issus de précédentes unions ainsi que leur
fils adoptifs. Il établit le testament en léguant tous ses biens meubles à l'épouse et le reliquat au fiduciaire du trust. Madame le conteste et les enfants (l'enfant adoptif décède en cours de
procédure) l'assignent "afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de
prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819.". Par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159
QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution. Les enfants font grief à l’arrêt de dire que l’article 2
de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige puisqu'au "jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en
vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne
par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père.".
La Cour de cassation n'accède pas à leur demande, en faisant observer que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire
ne relève pas de l’ordre public international français, alors que "la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et
sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ;
qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a
violé l’article 3 du code civil ;".
Elle fait valoir que "la loi étrangère désignée par larègle de conflit qui ignore la
réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit
à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentielles".
Ainsi, les enfants du premier mariage peuvent être déshérités en application d'une loi étrangère qui ne reconnaît pas la réserve héréditaire prévue
à l'article 912 du Code civil français. Cet article protège les héritiers français qui ne peuvent en principe être écartés de la succession. En revanche, rien n'empêche aux parents de disposer
autrement, en léguant par testament l'intégralité de la quotité disponible à un seul enfant au détriment des autres dans le cadre d'une succession en France ou appliquer la loi étrangère ne disposant pas d'une telle réserve s'il s'agit d'une succession internationale.